ÉTAGE 24: chimio or not chimio

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Les sessions se sont enchaînées tous les 15 jours depuis 6 mois.
6 mois jour pour jour. Du 01/04/2019 comme une bonne vieille blague j’ai commencé ma première chimiothérapie jusqu’au 01/10/2019, le mois de mes 40 ans.
6 mois d’inconnus au pays des hôpitaux, 6 mois derrière le rideau, 6 mois en eaux troubles.
6 mois mal connus de tous mais à ce que l’on en sait, 6 mois orientés douleurs, symptômes violents, effets secondaires, 6 mois de galère puissance 1000 comparé à tout ce que tu as vécu jusqu’à présent, le tout sur fond de mélodrame puissant.
C’est dingue, je m’étais préparé à encaisser 6 mois.
On m’avait dit 6 mois, j’ai tenu 6 mois.
Sans m’en rendre compte, sans calculer.
Pas un jour de plus pas un jour de moins.

Tous les 15 jours, le rythme était soutenu.
Ton corps est tous les 15 jours poussé à bout, malmené, violenté, anémié, détruit, cassé, humilié, plus aucun système ne doit fonctionner pour que le protocole s’enclenche.
Tu n’es plus que l’ombre de toi même, un pied à terre et l’autre dans la boue.
Injecté de part en part de produits savants, tes cellules doivent craquer, elles le doivent, tu dois craquer.

Ne force pas, lâche prise. Ne résiste pas, oublie toi. Ne lutte pas, reste avec nous. Accepte et respire. Garde la tête haute. Jusqu’ici tout va bien.

À peine remis de la dernière salve, te voila devoir repartir au combat de plus belle, à devoir remonter sur le ring sachant qu’en face tu as du très très lourd.
Tu te dois d’être bardé d’une motivation sans faille car ton adversaire est vicieux et à cette fâcheuse facilité à se nourrir de tes failles.
15 jours c’est tout petit, c’est pas assez pour reprendre vie mais après tout c’est tant mieux, car plus de temps entre les séances m’aurait certainement trop fait reprendre le goût à la vie et aurait donc quelque part affaiblie ma motivation. Paradoxale.
J’ai pas eu le temps de me refroidir entre 2 rounds, mon coach m’a gardé sous tension tout du long.

6 mois contrôlé par des médecins, des infirmières, des hématologues, des cancérologues, des machines, des tubes, des poches.
6 mois sans contrôle de ton corps c’est largement suffisant pour t’en désolidariser.
J’avais l’impression de ne plus Être, de ne plus m’appartenir.
Je me sentais comme un pantin à qui on administrait un coup la vie un coup la mort, un coup pour détruire ceci, un coup pour remonter cela ; le fameux syndrome du rat de laboratoire en sommes.

Mais où mon corps va-t-il chercher toute cette force ?
Depuis que je m’en suis détaché, je le regarde, je l’inspecte sans trop le déranger, et même si les premiers temps j’avais envers lui une certaine haine pour l’auto-destruction qu’il m’infligeait, maintenant je l’admire.
Je l’ai élevé au rang de ma conscience.
Il est mon arsenal terrestre et j’en prends soin. On se comprends mieux lui et moi.
Faut dire qu’on est allé racler tout le bon et tout le mauvais ensemble, forcément, ça crée des liens.
Il me surprends encore tous les jours. Je le vie ce corps, je l’aime.

J’essaie de lui faciliter la vie comme je peux et mon positivisme le garde vivace, alerte, lui amène de quoi souffler un peu de temps en temps.
Être positif c’est ma part du boulot que j’ai pris en main et que je partage avec vous depuis le début.
Peut être que mes cellules se marrent bien au fond de moi, et l’idée de les imaginer se tordre de rire me réjouis.
Je tente de leur redonner un peu le soleil sur leurs terres dévastées.
J’ai confiance en elles, et elles me le rendent bien.

Certes mon corps a laissé entrer un cancer mais m’en a éviter bien d’autres. Il m’a tenu vivant et me prouve bien tous les jours qu’il compte le rester.
Le combat n’aurait pas été possible sans sa force, son courage, ses ressources, sa résistance, sa persévérance et surtout, sans son sens de l’adaptation.
Gagner un combat ne relève ni de la force ni de l’intelligence mais d’un sens aiguë d’adaptation.

BASIC INSTINCT

Voila comment expliquer la chimio à vos enfants:
Tu vois un champ de coquelicots ? Il y à des mauvaises herbes au milieu. La chimio est un puissant désherbant. Tu en répands tous les 15 jours et tu laisse agir.
La mauvaise herbe disparait et les coquelicots repoussent plus fort que jamais.

Je pense à toute mes cellules qui sont détruites en masse, qui tous les 15 jours sont balayées par un nuage chimio-atomique, le souffle est puissant et irradie tout sur son passage, véritable génocide intérieur.
Les terres sont brûlées, plus aucune âme qui vive, la zone est radioactive et on marche sur les débris.
On entends les corbeaux ici bas, tout est désolé et ma mine du jour ne laisse place à aucun doute.

Mourir un peu, pour mieux renaître.

En vrai, c’est une destruction globale planifiée sous contrôle sanguin maîtrisé, prêt à être injecté et/ou transfusé de toutes les substances en guise de renforts.
J’ai le goût de ces produits dans la bouche, je rencontre les nausées, le manque d’appétit, et ce mal-être puissant qui assombrirait même le plus lumineux des esprits.

Tout mon corps réagis, ou plutôt rentre en réaction.
Il est tantôt en ébullition tantôt endormis, il ne suit plus aucun rythme, il se fiche des montres, des agendas et des cycles imposés, il improvise, poussé par une irrésistible volonté de réagir.
On dirait qu’il m’entends mais ne m’écoute pas. À moi de m’adapter à lui.
Il à autre chose à régler que mes problèmes d’effets secondaires.
Il évite que le navire sombre, il panse les trous comme il peut, alors, allez pas lui parler d’hémorroïdes, c’est pas le sujet.

Dans la pénombre de mon moi intérieur, où toute forme de vie à l’air anéantie, là, au loin, on distingue quelques cellules saines qui semblent avoir survécus.
Des cellules atrophiées, affaiblies, amputées, certes, mais qui s’unissent pour partager leur force afin de soutenir cette structure qui vacille.
Adaptation spectaculaire qui tétanise l’adversaire.
Aucun plan écrit, aucun commandant, aucune question, aucune réflexion, aucune perte de temps, chacune sait ce qu’elle à a faire et s’y attèle automatiquement.
À la manière d’une fourmilière explosée, chacun des membres de la colonie œuvre spontanément à sa reconstruction, dans un balais aux apparences brouillon mais savamment orchestré pour celui qui regarde de plus près.
Œuvrer à l’instinct. Basique. Efficace.
Au fond de nos cellules microscopiques se trouve la vie toute puissante.

SA FAR SO GOOD

Je ne ferais pas la 12ième session. Mes traitements sont fini. C’est ter-mi-né.
Mon corps à dit stop. Je le sentais profondément et mes analyses de sang l’ont confirmées au corps médical.
La 11ième session avait été déjà particulièrement difficile. Et j’en ressent encore les effets en ce moment même.
Je ne saurais l’expliquer mais pour la première fois j’ai senti que la chimie injectée allait me faire plus de mal que de bien.
La guérison a sonnée juste avant, je l’ai entendue, et la 12ième allait me rendre… malade.

Depuis l’annonce de la fin des traitements par mon hématologue, de sa douce voix affûtée de franchise et d’assurance, j’ai tout relâché.
J’ai chialé toutes les larmes de mon corps assis là, seul, devant mon ordinateur.
Un mélange de joie, d’incompréhension, d’émotions fortes en tout cas, du bonheur c’est vrai et de la chimie bien sûr. Mon corps en est saturé.
Cette femme est une alchimiste, elle me sang.
Elle sait où elle va, du moins c’est toujours ce que j’ai ressentis dans nos échanges.
Depuis le début aucune place au doute et c’est putain de rassurant.
Je suis de cette même nature mais c’est bien plus simple à appliquer sur des échanges du quotidien qu’au sujet de la survie de patients cancéreux.

C’est une très belle femme qui n’a pas le temps de s’ennuyer à le prouver.
Elle à une mission, elle l’a acceptée, elle fonce et je suis content d’avoir croisé sa route.
Jamais un mot au dessus de l’autre. Droite dans ses crocs et d’une extrême sensibilité.
Une fois son regard c’est assombri, à notre première rencontre d’ailleurs, quand ses yeux sont passés sur la ligne stabilotée en rose « patient très réticent à la chimio »
Je me souviens de ce moment. Je me souviens de tous les moments.
Elle consultait en silence mon dossier dans ce petit box de Lyon Sud.
Ma sœur ma Merveille était assise à côté de moi.
J’avais jusqu’à présent épargné ma sœur de tous les rdv.
Je veux dire qu’elle m’accompagnait toujours devant les portes des services mais je tenais à l’éloigner de tous les comptes rendu abruptes afin de pouvoir les digérer moi même un peu, avant de lui présenter avec mes propres mots.
J’ai vite compris que la médecine manquait souvent de tact à l’annonce des nouvelles, et combien il est compliqué de trouver le ton juste dans ce genre de moment.

À ce stade de rdv, tu as besoin d’une troisième oreille pour mieux comprendre ce qui t’attend.
L’organisation va être stricte, l’agenda serré, les questions seront nombreuses et elles arrivent toujours plus tard.

21 GRAMMES

Pour moi, le combat est terminé. J’ai accepté ce protocole et je suis allé jusqu’au bout.
Ne pas avoir fait la 12ième ne change rien, il fallait aller au bout du corps et on y est.
J’accepterais une seule et unique fois le protocole.
Depuis le début j’ai demandé à avoir « celui qui défonce » pour ne pas avoir à regretter quoique ce soit.
Qu’ils ne m’épargnent pas car je ne compte pas épargner mon rival.
En tant qu’amateur, quitte à monter une fois sur le ring pour le plus dur des combats, autant le faire face à un poids lourd, un genre Mike Tyson bien énervé.
Un peu de panache bordel.

Je suis lessivé, 1 mois après la dernière séance je n’arrive toujours pas à remonter la pente.
Mais les hormones ont enfin finies de me triturer la moelle, preuve que la vie reprend.
Comble du comble, elle va reprendre plus belle que quand elle m’a été confisquée.
Comme quoi ce n’était pas un mythe: (re)synchronise toi et l’univers te confiera de belles choses.

J’ai grandis. Je suis conscient de ce que je viens de boucler.
J’ai pour mon corps une grande reconnaissance. Il m’a sauvé la vie.
On forme une belle équipe, lui et moi.
Ajoutons l’amour et le soutien des miens, de ma famille et de mes ami(e)s, l’abnégation et la confiance de ma sœur ma Merveille qu’on ne présente plus ici, l’apparition divine de ma chérie et la puissance du clan 999.
Et il y a vous bien sûr, cette déferlante de commentaires bienveillants à chacun de mes postes, d’ondes positives, de soutiens 2.0 essentiel dans nos vies connectées.
Je vous ai pas épargné mes ami(e)s, je n’ai épargné personne comme on ne m’a pas épargné non plus.
On a ensemble contribué à l’émancipation de cette maladie, levé un peu le voile de la souffrance.
Merci, vous m’avez beaucoup apporté et ce n’est pas terminé.

Le plus beau reste à venir ?
Le plus beau ne reste pas à venir car le plus beau est ici et maintenant.
Oui je fais dans les grandes phrases et avouez que ça fait du bien.

Ce qui me restait de force est partis en pleurs ce 1/10/2019.
Et j’ai pris 21 grammes en réunifiant mon corps à mon âme.

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7 réponses

  1. Dolata dit :

    Bonjour, je vous souhaite de nombreux jours heureux, j’ai 64 ans et mon époux a 70 ans il vient de commencer la chimio et en vous lisant vous me donnez la force de vivre ces moments et du coup je la lui transmet , j’ai beaucoup cherché sur internet les récits des malades hommes, il y en a très peu et je trouve cela dommage parce que vous abordez différemment la maladie et que nous les épouses sommes desemparees ,merci à vous la vie est belle ❤️

    • Brice dit :

      Bonjour et merci pour votre commentaire Dolata, je souhaite tout plein d’amour à votre guerrier de mari et oui en effet peu de témoignage homme à propos de cette maladie c’est pourquoi j’ai partagé mon expérience. belle vie à vous

  2. FOUGERAND dit :

    Avril 2019 mes yeux pleuraient devant ton blog ! Aujourd’hui ils pleurent de joie ! 6 mois de combat suivis quotidiennement, un guerrier sans faille fort arrive sur la ligne de la victoire ! Ton corps et ton mental ont fait de toi un héros ! Ta vie va encore avoir un sens différent aujourd’hui et tu dois être le plus heureux des hommes ! Bravo pour ce courage, cette traversée, tu as gagné Brice ! Tellement fière de toi ! Profite enjoy ! 😘😘😘

  3. Marité de Vos Kott dit :

    Ça fait bien plaisir de lire tout ça, tu t’en est sorti et c’est une excellente nouvelle pour tout le monde. je suis bien d’accord avec cette révélation que tu as eue dans la tourmente, le corps n’est pas le grouillot de la conscience, je suis une psychanalyste dissidente sur ce point, je ne crois pas à la hiérarchie corps/esprit, pas l’un sans l’autre. Je regrette bien de ne pouvoir participer à la belle fête que tu organises mais grâce à Internet je pourrai la suivre de loin. Tu as bien raison de poursuivre le blog de l’après parce que tu ne dois pas oublier que tu vas avoir besoin de soutiens encore pour traverser cette période paradoxalement très dure, s’en être sorti c’est pas gratuit , ça se paye, alors compte sur tes amis, les vrais, les imaginaires et aussi ceux qui t’envoient par écran énergie et amour désintéressé (c’est intéressant pourtant l’amour, quoi de plus intéressant au monde ?) pour continuer à t’accompagner. Bises !!! comme on dit Champagne !!!

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